Pour de nombreux élus, le droit de siéger à l’Assemblée nationale se paie avec le reniement de ses convictions. Ils ne croient pas à la monarchie et au roi, ils ne voient pas là la source de leur légitimité, mais ils se plient néanmoins à une obligation humiliante, celle de faire un faux-serment. Chez-nous, le début d’un mandat parlementaire commence toujours par la corruption des esprits. Un acte renouvelé pour plusieurs députés et une initiation pour les nouveaux venus. Pour faire passer la pilule, analystes et commentateurs minimisent l’importance de l’acte, n’y voyant qu’une simple formalité.
La question, un serment est-il un geste solennel ou si c’est n’importe quoi ? Voici ce qu’en disait Gérald McNichols Tétreault lors de la ronde précédente des faux serments, il y a quatre ans :
« Un serment n’est pas un rituel anodin. C’est une cérémonie civile et sacrée qui atteint l’inconscient de celui qui le prête, et qui consacre l’honneur, la foi et la fidélité des chevaliers. L’indépendance du pays est d’abord une cause noble. Il faut une âme nette pour l’atteindre. La noblesse repose sur l’engagement. Le serment transforme celui ou celle qui le prête. Dire qu’il n’a pas d’importance, c’est dire que sa propre parole n’en a pas. Pour le vaincu, ce serment est un mauvais sort, tous ceux qui l’ont prononcé n’ont pas eu le courage d’aller jusqu’au bout. Ils ont composé des questions référendaires désarmées, ils ont tenté le beau risque et perdu, ils ont laissé sans protester le ROC occuper notre sol et souiller notre drapeau la veille du référendum de 1995, ils se sont consolés provisoirement dans un nationalisme provincial, ils ont adopté la langue de bois, ils se sont dits laïques sans avoir le courage de déposer le crucifix de l’Assemblée, bref, ils ont respecté à la lettre le serment au souverain britannique et canadien qu’ils avaient posé. Le serment est à la fois une humiliation, une arme d’assujettissement et une prison de la conscience. »
C’est l’historien Maurice Séguin qui avait trouvé la bonne formule. Pour réussir le combat de l’indépendance, disait-il, il faut passer à un niveau supérieur : la lutte doit être menée « sur le régime » et non « dans le régime ». Peine perdue. Un nationalisme routinier et conformiste, toutes allégeances partisanes confondues, a toujours prétendu que l’on pouvait changer quelque chose de l’intérieur, et parfois de manière particulièrement irréaliste, comme en 1981. Et nous le savons, une formule d’amendement a été mise au point pour verrouiller à jamais la Loi constitutionnelle de 1982, et le ROC s’en fout.
Mais quand on veut faire de la politique de bouts de chemins, s’en tenir à l’intendance, on n’a pas besoin de se rappeler du manque de légitimité des institutions qui nous gouvernent, on n’a pas besoin d’en faire le procès. On ne fera pas remarquer non plus que les institutions qu’on nous a imposées ne sont pas démocratiques parce qu’elles forcent des élus à prêter un serment en faveur d’une puissance étrangère, un manque de dignité qui heurte l’opinion publique en plus de placer les assermentés en situation de conflit d’intérêts. Me Christian Néron écrivait dans Le Devoir du 15 octobre : « Un député est une autorité de droit public dont la fonction première consiste à servir les intérêts généraux de la population. Mais s’il s’engage d’avance à mettre les intérêts du roi au-dessus de ceux de la population, sa liberté de conscience se trouve compromise. ». On demande à nos élus de s’aplatir devant des institutions qui nous viennent d’une Conquête armée, suivie d’une domination de l’élément anglo-saxon tourné vers la mise en minorité, la discrimination et la disparition des peuples fondateurs, Acadiens et Canadiens (français), peuples non reconnus et privés des pouvoirs nécessaires pour assurer leur avenir. Il est là le problème !
Nous sommes apparemment à un point où la lutte sur le régime pourrait s’engager pour de vrai. Ce serait bien une première, avec par-dessus le marché des élus qui assumeraient le leadership. Des députés objecteurs de conscience, qui refusent de se compromettre avec un faux serment, pourraient-ils ouvrir l’instruction d’un procès en règle de nos institutions ? Dans la foulée d’une résistance qui tiendrait, la persistance à exposer les causes de nos déboires nationaux pourrait rendre intenable l’hypocrisie de trop de ces député-es qui consentent à des serments auxquels ils ne croient pas. Ne devraient-ils pas plutôt se proposer comme des modèles d’intégrité ?
En tout réalisme, il faudra beaucoup de courage pour y arriver. Il faudra peut-être aller jusqu’à camper devant les portes du parlement, s’il le faut, une autre manière de siéger, comme dans tenir un siège, qui pourrait amorcer la fin des institutions qui, en dépit de leurs prétentions, ne nous représentent pas dans la plénitude qu’il faudrait, sans verser dans l’idéalisme. La saga est commencée, nous connaîtrons bientôt le dénouement du premier acte.