Ni mirage référendaire ni constitution à rabais

Personne après Daniel Johnson en 1968 ne saura poursuivre ou relancer à son haut niveau la cause de la nation historique canadienne-française. Tous les chefs nationalistes du Québec, en commençant par René Lévesque, sont tombés dans le piège référendaire tendu par les conseillers de Pierre Trudeau.

Pour une prise de conscience de la gangrène trudeauiste chez les souverainistes

En fin de compte, c’est uniquement Daniel Johnson qui a plaidé la reconnaissance du statut national des Canadiens-Français et des Acadiens au sein du fédéralisme canadien. C’est à Johnson que revient le mérite d’avoir confronté au sommet les chefs politiques du Canada, à l’occasion de la conférence constitutionnelle en février 1968. Le défi qu’il lançait bravement au Canada et la démarche d’égalité qu’il préconisait étaient sans précédent. Personne ne se trouvera ensuite pour relancer à ce haut niveau la cause de la nation historique.

René Lévesque et Jacques Parizeau, tombés dans le piège fédéral, s’étaient imposé l’obstacle infranchissable d’une victoire référendaire. Faute de quoi, à la différence de Johnson, ils ne voulaient surtout pas s’asseoir à une table constitutionnelle. Croyaient-ils vraiment que la souveraineté tomberait d’un référendum comme la pomme tombe de l’arbre ? L’approche référendaire, c’est maintenant connu, nous vient du proche entourage de Pierre Elliot Trudeau. Elle avait pour but de mettre le dernier clou dans le cercueil de la dimension continentale de la nation canadienne-française et acadienne, qui voulait une reconnaissance constitutionnelle assortie de droits. Dès les années 1950, à la revue Cité Libre qu’il avait co-fondée avec plusieurs intellectuels de l’époque, Trudeau avait commencé à semer le doute sur la validité de la société canadienne-française. D’un opposant au nationalisme canadien-français, il devint un opposant à tout nationalisme. Il imposa la Charte des droits de 1982, qui fait des droits individuels un absolu. Elle ne reconnaît aucuns droits collectifs sauf ceux des Premières Nations.

Trudeau ne manquait pas d’influence sur les tenants de la pensée libérale au Québec. Avec son entrée en politique en 1967, il emmena à sa suite la cohorte des fédéralistes de sa mouvance, alors que d’autres, dont René Lévesque, passeront à un souverainisme malaisé. Le souverainisme de Lévesque ne résoudra jamais entièrement son rapport avec les droits et les libertés individuelles dont Trudeau se faisait le champion. Les souverainistes libéraux resteront à demi trudeauistes. L’historien Éric Bédard a fait une étude approfondie du souverainisme trudeauiste dans laquelle il s’attarde particulièrement sur les formes prises par ce dernier après le référendum de 1995. Cette étude bien documentée mérite d’être lue avec attention.

Dans une vidéo récente, Philippe Plamondon de Nomos TV s’entretient avec Jean-Claude Pomerleau, pilier du site Vigile, sur la question référendaire, qu’ils voient tous les deux comme un piège fédéraliste. Au cours de leur échange sur la loi 99 à 35:15 minutes, Plamondon surgit contre l’absence de reconnaissance de la nation canadienne-française par Québec. Le préambule de la loi commence avec une terminologie trudeauiste bien reconnaissable, avec l’énoncé que le Québec est majoritairement de langue française. Il faut bien comprendre que la substitution de Canadiens-Français par « majorité francophone » n’est pas innocente. Cette absence des Canadiens-Français prend tout son relief quand on réalise que le préambule de la Loi 99 nous offre par ailleurs une description particulièrement bien détaillée du peuple québécois.

Pourtant, hélas, c’est un souverainiste connu comme René Ricard, co-auteur du livre Ce que le Canada ne vous dira jamais, qui a tenté de m’expliquer un jour qu’il fallait comprendre que « majoritairement francophone » tenait lieu de Canadiens-Français. En somme nous étions reconnus. Peut-être trop partisan, il ne lui est pas venu à l’esprit que si la langue est un élément de l’identité, une identité nationale ne peut se définir que par la langue. Pour Joseph Facal, auteur de la loi 99, nommé par Lucien Bouchard, la reconnaissance des Canadiens-Français par Québec n’était pas une chose évidente. Immigrant de première génération arrivé en pleine québécitude, on peut se douter que jamais on ne lui a demandé de rejoindre une nation canadienne-française déjà peu prisée par ses propres enfants. Le retour aux fondements de la cause nationale presse. La reconnaissance des Canadiens-Français par Québec en serait un épisode colossal. C’est un combat lourd de conséquences sur le plan de la doctrine. Une telle modification de la loi 99 heurterait de plein fouet la domination historique du trudeauisme sur le souverainisme québécois.

Trudeau aura été l’auteur d’une œuvre de destruction nationale, une œuvre qui ne suscitera pas l’opposition systématique qu’on pouvait souhaiter chez les souverainistes qui, s’écartant de l’urgence existentielle, fondaient eux-mêmes tous leurs espoirs dans la création d’une nouvelle identité.

L’œuvre de Trudeau s’accomplira en trois actes :

  1. la loi sur les langues officielles de 1969 donnera naissance à des francophones provinciaux, identifiés d’abord à leur province ;
  2. la loi sur le multiculturalisme de 1971 fera la promotion de l’inexistence de cultures nationales au Canada ;
  3. La main d’Ottawa dans l’adoption de la démarche référendaire fournira un cadre supranational pour la création d’une « communauté de destin » inédite des Canadiens-Français et des Canadiens anglais du Québec. Une fusion binationale inégale et utopique, devenue plurinationale, face à Ottawa. La fin de l’influence des tenants de la nation canadienne-française dans la question nationale a eu pour résultat la faiblesse des initiatives constitutionnelles du Québec, celui-ci étant passé de foyer national des Canadiens-Français à nation québécoise post-nationale, sans possibilité de cohésion sur l’enjeu existentiel des Québécois de souche. Dans l’Action nationale, en 1980, résumant le tout dans une courte phrase, François-Albert Angers dira avec lucidité : le sens de la lutte a changé.

La stratégie référendaire était un stratagème trudeauiste et elle le reste. Ce mécanisme porte le défaut de masquer l’enjeu existentiel que ressentent profondément les Canadiens historiques. Qui sont ces Canadiens historiques ? Ce sont ceux qui se réclament aujourd’hui de l’identité linguistique de Québécois francophones ; ils existent aussi de manière mieux assumée quand, Canadiens-Français, ils ne renoncent pas à la profondeur de leur histoire. Ce sont eux, ensemble, qui s’inquiètent pour leur avenir collectif. En 1995, ils ont exprimé clairement leur insécurité face à l’avenir par un vote de 60 % en faveur de changements constitutionnels. Malheureusement, Jacques Parizeau, chef sous influence trudeauiste, n’a pas saisi l’occasion de cet appui significatif pour mettre en doute la légitimité du fédéralisme canadien.

Les Québécois francophones se sont bien efforcés de partager avec les autres québécois leur espoir d’un redressement national qui mettrait fin à leur déclin. Mais les autres Québécois sont restés peu sensibles à cet appel. Wikipédia constate que : « Chez les allophones et encore plus les anglophones, l’appui au OUI est très faible ou nul, tout comme en 1980. » Avec les flux migratoires actuels, même en refoulant davantage l’enjeu existentiel pour le sublimer dans une ouverture exagérée aux anglophones et allophones, croyant que cela leur vaudrait un jour un retour d’ascenseur référendaire, nous en sommes venus à répéter le rôle du courtisan éconduit.

La porte de sortie n’est pas facile à trouver. Elle ne se trouve pas dans un autre référendum perdant. Elle ne se trouve pas non plus dans le mirage d’une constitution québécoise symbolique qui passerait à côté de la reconnaissance statutaire des Canadiens-Français. En réalité, le trudeauisme et ses effets ont fragilisé considérablement la nation, l’étape actuelle de notre histoire nous pousse à une nouvelle prise de conscience avant de retrouver nos forces.

Une réponse

  1. Tout est dit ! Qu’est-ce que je peux dire, sauf merci 1000 fois !

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