Organisation du peuple canadien-français en Amérique d’après Alexandre Cormier-Denis

Alexandre Cormier-Denis a déposé en septembre un mémoire au Comité consultatif sur les enjeux constitutionnels du Québec au sein de la Fédération canadienne dont notre contributeur Gilles Verrier a trouvé opportun de livrer ici un synopsis critique. Ce mémoire intitulé Manifeste pour une reconnaissance du Québec comme État-nation du peuple canadiens-français est accessible, comme tous les autres mémoires déposés, sur le site web du Comité.

Alexandre Cormier-Denis s’est fait connaître du grand public au Québec en 2016 suite à la visite de Marine Le Pen, conspuée ici par la classe médiatico-politique néo-nationaliste. Né en 1984, il avait rallié le Comité national des jeunes du Parti québécois (PQ) où il s’était fait un nom comme nationaliste de droite lorsqu’il s’afficha avec Le Pen, ce qui lui valu d’être expulsé du PQ. Il fit encore la polémique en 2019 dans l’émission Zone franche de Télé-Québec en réclamant la diminution du nombre d’immigrants accepté au Québec, puis en 2021 par un Tweet devenu viral condamnant les ressortissants français venant au Québec pour se fondre dans la masse anglophone de l’Amérique du nord. Il a entre-temps fondé le média alternatif Horizon Québec Actuel et la chaîne YouTube NomosTV.

Alexandre a déposé en septembre un mémoire au Comité consultatif sur les enjeux constitutionnels du Québec au sein de la Fédération canadienne dont notre contributeur Gilles Verrier a trouvé opportun de livrer ici un synopsis critique. Ce mémoire intitulé Manifeste pour une reconnaissance du Québec comme État-nation du peuple canadiens-français est accessible, comme tous les autres mémoires déposés, sur le site web du Comité.

Nation et peuple.

Effort louable de définitions qui met en évidence les ambiguïtés de la législation existante. Le discours public souffre aussi des mêmes imprécisions. D’entrée de jeu, si les droits des Canadiens-Français sont justiciables en droit international, il faudra tendre à employer la terminologie adéquate. Mais le problème ne sera jamais entièrement résolu, car les champs sémantiques des mots nation et peuple diffèrent et se recoupent dans les travaux de bien des auteurs reconnus et ne correspondent pas forcément à la terminologie des instances comme les Nations Unies. 

Pour la nation :

À la lumière de ces citations, nous proposons de retenir ici la définition la plus politique du terme nation : Ensemble humain sur un territoire défini constituant une communauté politique réunie autour d’une autorité étatique. C’est cette définition que nous retiendrons pour décrire la nation québécoise. (p.7)

En réalité, « communauté politique réunie autour d’une autorité étatique » est un choix qui reste encore discutable. La définition pourrait s’appliquer à la communauté anglophone et à ceux qui s’identifient à elle. Donc une partie de la communauté anglophone du Canada qui se place sous l’autorité d’un État, certes, mais dans leur cas de l’État fédéral et non d’une province. Du reste, l’État qui détient l’autorité de dernière instance c’est l’État fédéral.

Après avoir cité des définitions généralement reconnues crédibles et neutres, voici la définition retenue de peuple :

Pour le peuple :

Communauté humaine unie par leur origine, leur mœurs, leur langue et leur culture. (p.8)

À la fin de page 8, Cormier-Denis établit la problématique qui fera l’objet des pages suivantes :

Les différentes législations québécoises sur la nomination d’une nation ou d’un peuple québécois, tout autant que leurs contours exacts, sont malheureusement loin d’être claires. Comme nous allons le voir en nous appuyant sur la Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français (2022) dite loi 96, la motion du Parlement canadien de 2006 sur la nation québécoise et la Loi sur l’exercice des droits fondamentaux et des prérogatives du peuple québécois et de l’État du Québec (2000), dite loi 99, le cumul des différentes législations entourant la question nationale québécoise a créé un certain flou sur ce que recoupent les termes de peuple et de nation. Nous reviendrons également sur les peuples et les nations qui habitent l’État du Québec. (mon soulignement)

Sur la loi 99 (2000), Cormier-Denis reprend à très peu de choses près des objections déjà mises de l’avant par la Fédération des Canadiens-Français depuis cinq ans.

Sur les peuples autochtones :

Pour une plus grande clarté, nous aurions préféré parler non pas de nations autochtones, mais bien de peuples autochtones qui auraient pu appartenir à la nation québécoise. Malheureusement, la reconnaissance de l’existence distincte des nations autochtones depuis 1985 et la prétention du gouvernement du Québec de négocier de « nation à nation » pousse logiquement à exclure les Autochtones de l’appartenance à la nation québécoise, tout en reconnaissant bien évidemment leur légitimité sur le territoire québécois. (mon soulignement)

Sur les anglophones
À la page 12, sur les anglophones du Québec : 

… il faut tout de même se questionner sur le rapport qu’ils entretiennent avec leur appartenance ou non à la nation québécoise. Au lieu de simplement les confiner à une simple communauté linguistique, ne serait-il pas plus en phase avec la réalité de leur donner un statut particulier comme composante de la nation québécoise ?

Ne faudrait-il pas que des voix de cette communauté revendiquent un tel statut. Que faire s’ils n’en veulent pas. De plus, n’y aurait-il pas lieu ici de distinguer entre minorité numérique et minorité sociologique, comme le fait Balandier1 dans Sociologie de l’Afrique noire ? Anglophones « minorité nationale » ou le reflet au Québec de la puissante majorité anglophone du Canada. On a ici l’impression que Cormier-Denis met la charrue avant les bœufs, le Québec n’est pas indépendant.

De plus, les communautés linguistiques de langues officielles sont statutaires au Canada. Encore une fois, la marge du Québec n’est pas illimitée quand on n’oublie pas qu’il est d’abord une province du Canada, peu importe la rhétorique qui anticipe sur son véritable pouvoir. 

Sur les Canadiens-Français :

Les grands absents : les Canadiens français Même s’ils forment le cœur battant de la nation québécoise, les descendants des colons de la Nouvelle-France n’ont pour l’instant aucune reconnaissance statutaire précise en droit québécois ni canadien. Or, c’est bien ce peuple qui fonde la nation québécoise.

Plus loin :

La prétention du caractère national des Québécois repose essentiellement, pour ne pas dire quasiment exclusivement, sur ce peuple qui portait le nom de Canadiens français jusqu’à il y a peu.
[…]
L’État du Québec a une responsabilité morale et civilisationnelle d’entretenir vivants les liens diplomatiques, culturels et économiques avec les communautés des descendants des colons de la Nouvelle-France… (p.13)

Pour terminer, voici les suggestions d’Alexandre Cormier-Denis pour mettre de l’ordre dans le fouillis des contradictions législatives, ce qui ne se fera jamais sans qu’un peu d’ordre revienne habiter l’esprit des Canadiens-Français lui-même.

Les propositions (que l’auteur appelle modestement suggestions) se divisent en quatre chapitres. Les voici :

Le Québec, État-nation du peuple canadien-français

1. Le Québec est la patrie du peuple canadien-français, dans lequel l’État du Québec a été établi ; 

2. L’État du Québec est le foyer national du peuple canadien-français dans lequel il satisfait son droit naturel, culturel et historique à l’autodétermination ; 

3. Le peuple canadien-français possède le droit inaliénable de demeurer majoritaire sur le territoire de l’État du Québec ; 

Une nation québécoise incluant une minorité canadienne-anglaise

4. La nation québécoise est composée du peuple canadien-français, de la minorité canadienne-anglaise et d’individus issus de l’immigration ; 

5. La minorité canadienne-anglaise possède le droit inaliénable à son réseau scolaire primaire et secondaire anglophone ;

Les Premières Nations et les Inuits distincts de la nation québécoise

6. L’État du Québec est habité par les nations abénaquise, algonquine, attikamek, crie, huron-wendat, innue, inuite, malécite, micmac, mohawk et naskapie ; 

7. Le droit à l’autodétermination interne et à l’autonomie des Premières Nations et des Inuits au sein de l’État du Québec est reconnu comme un fait inaliénable. Afin de mieux illustrer notre propos, nous avons simplifié nos propositions dans l’illustration ci-dessus ;

Les Canadiens français hors Québec

8. L’État du Québec agira afin de renforcer ses liens avec les communautés canadienne-françaises hors Québec, les Acadiens et les communautés franco-américaines ; 

9. L’État du Québec agira de façon à préserver l’héritage culturel, historique et linguistique du peuple canadien-français envers les différentes communautés canadiennes-françaises hors Québec. 

10. L’État du Québec favorisera l’immigration et le rapatriement sur son territoire des Canadiens français hors Québec, des Acadiens et des FrancoAméricains.

* * *

Le Manifeste d’Alexandre Cormier-Denis ne manque pas de qualités. J’ai des réserves sur certains points et sur certaines formulations mais, dans l’ensemble, le mérite du Manifeste se trouve dans l’organisation et la hiérarchisation des concepts essentiels pour notre avenir. D’après moi, cet effort d’ordonnancement est assez réussi. Avec concision, il offre un cadre pour approfondir la réflexion, le plan de l’auteur nous place sur la bonne voie. 

Des 44 mémoires déposés, deux donnent une place politique aux Canadiens-Français alors que quatre autres évoquent ou font référence positivement à l’identité canadienne-française dans différents contextes.  Les commentaires, la plupart brefs, seront mis en ligne à cette adresse d’ici quelques jours.

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  1. « Le volume d’un groupe social ne suffit pas à faire de ce dernier une minorité… » Une minorité numérique n’est pas forcément une minorité sociologique, soit une minorité socialement, politiquement et économiquement subordonnée.
    Georges Balandier, Sociologie actuelle de l’Afrique noire, Presses universitaires de France, 4e éd., 1982, p.17. ↩︎

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