Les États-Unis ont obtenu leur indépendance en partie grâce à l’appui de la France, qui nous avait déjà oubliés. L’intervention de la France, dans le cas des treize colonies, illustre l’importance qu’il y a pour les peuples de soigner leurs relations internationales, ce que n’avaient pas manqué de faire les révolutionnaires américains. Des efforts en ce sens sont toujours nécessaires pour les peuples qui veulent s’affirmer ou se libérer d’une emprise coloniale classique, comme dans le cas des treize colonies. Aujourd’hui, les rapports de domination sont devenus plus sophistiqués. Le colonialisme classique a fait place à des formes de domination semi-coloniales ou néocoloniales plus dissimulées, cyniques mais pas moins injustes. Il suffit de lever le voile du vocabulaire neutre, le nouvel habillage, pour trouver sous la Loi constitutionnelle de 1982 les survivances les plus culottées d’un régime colonial. Pensons seulement au processus de nomination des juges de la Cour suprême et à l’étendue de ses pouvoirs ! Au Canada, comme dans de nombreux pays, on restreint l’agir par soi des peuples et des nations. Ces déséquilibres sont encore aujourd’hui très présents et reprennent même de la vigueur. Du 15 au 17 février, se tenait à Moscou une rencontre de pays et d’organisations non gouvernementales (400 délégués provenant de 50 pays), tous insatisfaits de l’actuel état du monde. Dans une courte intervention, Sergei Lavrov, le ministre des Affaires étrangères de la Fédération de Russie, a manifesté son appui aux peuples qui veulent se libérer du colonialisme / néocolonialisme. Il a fait état de 17 territoires à libérer des liens issus d’un passé révolu. Lavrov n’en a cependant nommé aucun.
Si l’absence de noms peut faire travailler notre imagination, la liste des 17 pourrait réserver quelques surprises, mais il serait étonnant, en fait ce serait la plus grosse surprise, que les Canadiens de souche et les Acadiens soient du nombre. Depuis Lévesque et Trudeau, on l’a vu, les Canadiens-Français ont été refoulés. Ils ont été repoussés vers une existence provinciale exclusive, chaque segment de la nation rebaptisé avec un nom inventé, sous l’effet de lois d’ingénierie sociale conçues pour que rien ne subsiste de la nation issue de Nouvelle-France. Une dénationalisation bien menée, vendue comme un progrès indépassable, a fait que nous sommes aujourd’hui, affaiblis, divisés, et le plus souvent confondus dans le groupe anglo-saxon prédominant, notre personnalité nationale effacée.
Si les Canadiens et les Acadiens issus de Nouvelle-France passent aujourd’hui sous l’écran radar des peuples à libérer, c’est pour des raisons qui remontent à un virage qui date de quelque temps déjà. En effet, la lutte nationale a subi un changement de doctrine. Au Québec, elle s’est provincialisée et dénationalisée à mesure que se hissait la bannière de l’identité québécoise, une identité qui se conforme mieux au cadre et aux normes du fédéralisme. Avec l’aide des néonationalistes, le fédéralisme canadian a retiré à la lutte nationale son sens historique. Ce virage remonte à 1968, une année pivot, une année à retenir.
Le néonationalisme québécois, aussi appelé la « québécitude », n’a jamais cru qu’il devait faire connaître ses revendications sur la scène internationale, aller chercher là des sympathies et des appuis. Contrairement à Daniel Johnson, un premier ministre du Québec qui voulait s’engager résolument dans cette direction.
La sous-estimation des appuis internationaux que doit se donner un peuple pour se libérer vient d’une doctrine politique qui occulte le recours constant à la force et à la duperie des Anglo-saxons dans l’aménagement de leurs rapports avec les Canadiens-Français et les Acadiens. Chez René Lévesque et ses successeurs, on a la conviction que la relation entre les Canadiens-Français (pour lui, les Québécois) et le Canada anglais est un litige entre partenaires. Les ambitions souverainistes sont de stricte politique intérieure, l’inégalité entre les « partenaires » est du reste rarement soulignée.
On a donc l’impression que l’affaire ne concerne pas la communauté internationale. Qu’elle n’a pas non plus de dimension coloniale, une unanimité requise au Parti québécois ! En général, chez les porte-parole autorisés du PQ, on veut faire admettre que le différend avec le Canada peut se régler par des aménagements administratifs, grâce à la bonne foi qu’on anticipe chez la partie adverse. En 1967, le mémorable discours du Général de Gaulle qui se termine avec « Vive le Québec libre », fait entrer notre cause dans les nouvelles du monde entier. René Lévesque ne cache pas sa mauvaise humeur. Une visibilité internationale, pensait-il, pourrait indisposer nos « partenaires » et compromettre son plan de souveraineté-association ! Craignait-il de perdre ses acheteurs canadiens-anglais ?
Pour lui, la cause se limitait à faire valoir une majorité provinciale en faveur de changements constitutionnels limités ou administratifs. Dans ce cadre, un exercice référendaire de trente jours pouvait bien servir à vérifier la température de l’eau, mais il ne servira pas à instruire un véritable procès du régime fédéral, un réquisitoire qui aurait pu logiquement se poursuivre sur la scène internationale bien au-delà d’un référendum. C’est ce qu’un libérateur de peuple aurait fait.
Aujourd’hui ont été identifiés 17 territoires qui se plaignent d’un déficit de reconnaissance quant à leur existence. On peut imaginer qu’il y a de grandes différences entre chacun de ces cas. Quoi qu’il en soit, c’est aussi la revendication des Canadiens-Français depuis la Conquête de se faire reconnaître comme une nation avec les droits et les pouvoirs nécessaires pour assurer son avenir. Cette réclamation est entièrement légitime.
Participer une fois tous les deux ans à un forum d’entités semblables à la nôtre, en tout cas par certains égards, ne fait pas de nous des Moscovites. D’ailleurs, il n’est pas clair à ce stade si la prochaine rencontre se tient à Moscou ou ailleurs, et, incidemment, la fondation officielle du Forum est prévue pour octobre 2024.
On peut soutenir que les petites nations non reconnues courent tous les dangers et pèsent peu dans la balance. Pour ces raisons, leur intérêt est en général du côté de la neutralité et du non-alignement. Ce qui ne signifie pas pour elles d’être aveugles à leurs propres intérêts. Le temps a bien montré que les Anglo-saxons ne nous accorderont pas facilement nos droits nationaux. Et, si Ottawa refuse, ses alliés anglo-saxons et européens suivront, sauf accident. Si les autorités néocoloniales du Canada étaient bien disposées à notre égard, ça se saurait. Elles auraient depuis longtemps reconnu notre existence nationale. Par conséquent, se tourner vers une petite communauté internationale de semblables, à titre d’acteur non gouvernemental, en présence de représentants de nombreux pays, peut nous protéger. Comment me direz-vous ? En faisant davantage connaître notre cause dans le monde et, éventuellement, dépendant des appuis internationaux générés avec le temps, profiter de la solidarité et d’un poids international accru en notre faveur.
Finalement, rappelons-nous une leçon d’importance. Ce n’est pas en raison des bonnes grâces de Pierre Elliot Trudeau pour les Premières Nations qu’elles ont obtenu le statut constitutionnel enviable qui est aujourd’hui le leur. Ce qui a joué, c’est le poids de la communauté internationale en faveur de cette reconnaissance. Ne pas le faire aurait terni la réputation du Canada, et c’est ce qui a fait reculer Trudeau. Quant aux Canadiens-Français ? Il faut s’inspirer de ce qui a donné des résultats. Redonner de la valeur à l’unité des Canadiens-Français et Acadiens et cultiver nos relations internationales. Des pays étrangers nous reconnaîtront avant le Canada !
Une réponse
Levi General, chef héréditaire des Cayuga dans la réserves des Six Nations iroquoises en Ontario, excédé par l’attitude du ministère des Affaires indiennes, après avoir été à Londres en 1921 faire pétition des droits des Iroquois et subi un revers asséné par Winston Churchill lui-même, alors sous-secrétaire britannique aux colonies à l’époque, s’était en 1923 rendu à Genève pour obtenir de la Société des Nations qu’elle sanctionne le Canada. Les représentants canadiens et britanniques s’assurèrent qu’il ne puisse s’adresser à l’assemblée générale ou même obtenir d’audience, malgré la sympathie de certains diplomates. Durant les dix-huit mois de son séjour en Suisse, General donna toutefois de nombreuses conférences qui reçurent un accueil chaleureux de ses auditoires.
Pour plus de détails, voir https://fr.wikipedia.org/wiki/Deskaheh, et surtout l’excellent récit de Serge Bouchard : https://ici.radio-canada.ca/ohdio/premiere/grandes-series/4599/de-remarquables-oublies-les-premieres-nations/664274/niagara-suisse-diplomatie-droits