En route vers la grande paix

À l’été 1701, plus de 1 300 Autochtones, représentant 38 nations, avaient accepté l’invitation des Français. De l’ouest, il y avait notamment des Outaouais, des Cris, des Ojibwés, des Illinois, des Miamis, des Wyandots, des Mascoutins, des Outagamis, des Menominees, des Népinssingues, Amikwas, des Potéouatamis et des Winnebagos.

(Collaboration de Marco Wingender, auteur de Le Nouveau monde oublié)

Au cours de l’année 1697, un désir de paix se propagea tant chez les Iroquois, mis à rude épreuve, qu’auprès des dirigeants coloniaux français qui cherchaient à mettre un terme aux hostilités et ainsi à libérer le Canada des contraintes militaires et économiques qu’imposait la guerre avec les Cinq-Nations.

Des négociations sur tous les fronts

Chez les Iroquois, le processus de paix s’amorça cette année-là. Toutefois, de nombreux obstacles politiques devaient encore être surmontés, alors que les opinions divergeaient à l’interne sur les enjeux relatifs au maintien de l’alliance avec les Anglais, la ligne de conduite à adopter dans leurs relations avec les autres nations autochtones des Grands Lacs, le retour des captifs à leurs clans et autres. En raison de la structure décisionnelle complexe et décentralisée des sociétés iroquoises, trois années de négociations s’écouleront avant qu’un consensus ne soit établi sur ces questions.

Paix préliminaire

Le printemps de 1700 marqua un tournant décisif quand les Cinq-Nations, sous l’influence des factions pro-françaises et celles en faveur d’une neutralité, décidèrent d’aller de l’avant dans leurs pourparlers avec les Français. Au mois de septembre, on signa à Montréal un traité de paix qui mit un terme définitif au conflit qui durait depuis 1609. Le traité jetait également les bases à une entente qui inclurait toutes les nations adhérentes à l’alliance franco-autochtone. On mandata alors deux ambassadeurs français ainsi que deux chefs, Kondiaronk et Koutaoiliboe, respectivement de la nation des Wyandots et des Outaouais, de convaincre toutes les nations de l’alliance de se déplacer à Montréal au début du mois d’août 1701. La table était ainsi mise pour une rencontre historique l’année suivante.

Montréal, au rythme des Premières Nations d’Amérique du Nord

À l’été 1701, plus de 1 300 Autochtones, représentant 38 nations, avaient accepté l’invitation des Français. De l’ouest, il y avait notamment des Outaouais, des Cris, des Ojibwés, des Illinois, des Miamis, des Wyandots, des Mascoutins, des Outagamis, des Menominees, des Népinssingues, Amikwas, des Potéouatamis et des Winnebagos. De l’est, étaient aussi présents des Algonquins, des Iroquois de la région de Montréal ainsi que des Abénakis. Ces derniers parlaient probablement au nom de la Confédération Wabanaki qui incluait les Penobscot, les Passamaquoddy, les Wolastoqiyik et les Mi’gmaq, tous des alliés traditionnels des Français. Les Mohawks, qui avaient annoncé leur présence, n’étaient pas parmi la délégation initiale. Néanmoins, quatre de leurs ambassadeurs arriveront quelques jours après et signeront eux aussi le traité.

Le 21 juillet, c’est d’abord à Kahnawake que les délégations de toutes les nations autochtones se réunirent. Pour apaiser les cœurs et les esprits, on tint la cérémonie diplomatique des « condoléances de l’orée du bois », où tour à tour, on exprimait sa peine pour les défunts des uns et des autres. Condoléances acceptées, on fuma alors le calumet de paix qu’on fit suivre d’un grand festin accompagné de musique et de danse. Le lendemain, les émissaires traversèrent à Montréal ; 200 canots qui s’approchaient au son des salves des canons français.

Au cours des semaines suivantes, la petite ville coloniale de tout juste 1 500 habitants se transforma en une arène grouillante et colorée, où les cultures, les langues et les coutumes se mêlèrent dans une atmosphère d’exubérance et de réconciliation. De partout dans la colonie, on était venu pour assister à ce spectacle interculturel d’une ampleur sans précédent dans l’histoire coloniale des Amériques.

Chaque jour était rempli de festivités, de rituels diplomatiques, d’échanges commerciaux, de conférences officielles, de longs discours et bien sûr, d’intenses négociations. La conférence prit aussi une tournure tragique, alors qu’elle fut frappée par une épidémie grippale qui affaiblit ou tua plusieurs délégués. N’eût été de la présence de ce virus, nul doute que les visiteurs auraient été beaucoup plus nombreux. Malgré tout, dans un esprit de concorde, on s’échangeait des cadeaux et des marchandises, on fumait le calumet de paix, on dansait, on chantait et l’on festoyait ensemble. Plus que jamais, Montréal, devenu le cœur politique du Nord-Est du continent, vibrait au rythme des Premières Nations.

Funérailles en grande pompe

Le 1er août, l’estimé chef Kondiaronk tomba gravement malade. Il prit néanmoins la parole en public en faveur de la paix, longuement et avec une grande éloquence, bien qu’à faible voix. Dans les heures qui suivirent, il expira son dernier souffle. Sa mort causa une grande tristesse, partagée par toutes celles et ceux qui étaient présents. Le lendemain, 2 août, catholique de conversion, Kondiaronk eut droit à des funérailles grandioses à l’église Notre-Dame, où l’on rendit un vibrant hommage à ce chef d’exception qui avait été un acteur clé de cet événement historique.

Ratification de la paix

En raison de la maladie qui continuait de sévir, les délégués durent précipiter la signature du traité au surlendemain, le 4 août 1701. Pour l’occasion, le gouverneur général Louis-Hector de Callière avait fait ériger sur une grande plaine, hors de la ville, une imposante enceinte partiellement couverte. Le grand jour arrivé, les 1 300 délégués autochtones s’y rassemblèrent de même que le tout Montréal.

La cérémonie protocolaire du 4 août emprunta aux traditions diplomatiques des deux civilisations en présence. Le gouverneur Callière, présida la cérémonie. À ses côtés, on trouvait des colliers de wampum suspendus. Il reçut, un à un, les chefs auxquels il remit un collier. Chacun s’avança, portant fièrement son collier et, au nom de sa nation, tint un discours empreint d’une grande solennité. On libéra ensuite les prisonniers et on fit circuler le calumet pour finalement ratifier le traité de paix en dessinant l’emblème de sa nation, de son village ou de son clan. La cérémonie fut suivie de festins, de chants et de danses. En guise de métaphore, on planta symboliquement un grand pin dont les racines s’étendraient dans les quatre directions pour rallier tous les peuples dans un même esprit. C’est ainsi que la Grande Paix de Montréal fut conclue.

Arbitrage des Français

En s’accordant à la paix, chacun renonçait à la guerre et s’en remettait à l’arbitrage du gouverneur général  Onontio  pour agir à titre de médiateur des différends. Il devenait un protecteur des Premières Nations par la construction de forts et un pourvoyeur, par l’octroi de pensions aux familles des guerriers autochtones. De même, il devenait un allié par la distribution de présents aux chefs. Malgré le pouvoir qui lui était conféré, il n’y avait rien d’absolu dans son exercice, car il était fondé sur une alliance qui constituait une association entre nations souveraines.

En vertu de cet accord, la Confédération iroquoise s’engageait à demeurer neutre en cas de conflit franco-anglais. Ils acceptaient aussi la fondation de Détroit par les Français en échange d’une liberté de commerce partout. Enfin, toutes les nations signataires du traité mettaient en commun leurs terres de chasse, symbolisées par un grand bol dans lequel chacune pourrait puiser pour s’y nourrir avec sa louche.

Un événement historique unique occulté de la mémoire

À l’aube du 18e siècle, les cérémonies historiques du 4 août témoignaient du brillant succès de l’entreprise coloniale française. Elles couronnaient ainsi une approche de colonisation qui ne reposait pas sur l’occupation intensive de vastes territoires et la dépossession des peuples autochtones, mais sur une alliance avec eux et une véritable adaptation à leurs coutumes diplomatiques. Malgré leur faible nombre, les Français et les Canadiens avaient bel et bien réussi à étendre leur influence à l’échelle du continent. Au regard des traditions politiques autochtones, la Grande Paix fut tout autant un remarquable triomphe alors qu’enfin, on enterrait la hache de guerre. Certes, cette paix ne fut pas dépourvue de tensions ou de conflits limités, mais à compter de ce jour, elle fit cesser définitivement les guerres iroquoises au Canada.

La Grande Paix de Montréal détermina en bonne partie la trajectoire diplomatique et militaire du Canada jusqu’à la fin du régime français et il ne fait aucun doute qu’ensemble, les Premières Nations, les Français, les Canadiens et les Acadiens furent véritablement les fondateurs originaux de ce pays. Longtemps occulté par un héritage colonial ayant refoulé son autochtonie, la mémoire de cet événement unique dans les annales des Amériques évoque aussi l’envergure de l’histoire que partagent ces peuples et du métissage, profond et intime, qui en a résulté.

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