Par Gilles Verrier
Les Acadiens se sont toujours appelés Acadiens. Ils ne s’identifient pas comme des « insulo-édouardiens », ou des « néo-écossais », ou que je sais-je ? Pourquoi faudrait-il alors que les Canadiens des origines, devenus Canadiens-Français, adoptent l’identité d’une province créée par Lord Halifax aux lendemains de la Conquête ? Pourquoi diable, ce qui est une fierté identitaire pour les Acadiens, celle de coller à leur identité d’origine, ne le serait-il pas pour les Canadiens-Français ?
Je concède… À ce sujet il y a peut-être méprise ou malentendu, peut-être même les deux. Et, cher ami, je reconnais que ma pensée a évolué à ce sujet depuis nos premiers échanges. Je suis d’accord avec vous pour dire que les Acadiens ont suivi une évolution historique parallèle à celle du Canada de la Nouvelle-France. À partir de la déportation des Acadiens et de la Conquête, le destin des deux peuples a été façonné par des administrations britanniques différentes.
Mais au-delà de la distinction qu’il y a lieu de faire entre Canadiens (-Français) et Acadiens, ce qu’il est intéressant de réaliser c’est que l’identité du Canadien-Français, n’est pas de soi un pan-canadianisme. J’ai remarqué plusieurs fois au cours de discussions ou dans des écrits, qu’une confusion existe bel et bien entre l’identité canadienne-française, qui est une chose, et le pan-canadianisme canadien-français, qui en est une autre. Pour plusieurs de mes interlocuteurs, le vocable Canadien-Français signifierait « d’un océan à l’autre ». Il porterait donc intrinsèquement le pan-canadianisme (et le fédéralisme qui l’accompagne !) dans sa besace.
Or, historiquement, cette assertion semble indémontrable. D’abord le peuplement canadien à l’époque de la Nouvelle-France n’a jamais dépassé l’est du Manitoba et ajoutons que c’était de façon plutôt symbolique. La Nouvelle-France était divisée en trois régions : Louisiane, Acadie et Canada. Il apparaît que le pan-canadianisme des Canadiens-Français des rives du Saint-Laurent, région de loin la plus peuplée de la nouvelle-France, est né quelques décennies après la Confédération, plus précisément dans les années qui suivirent la pendaison de Louis Rieli, pour se terminer à une date difficile à épingler, mais, au pif, il aurait duré soixante ans. S’il fallait en identifier une tête de proue, je nommerais Henri-Bourassa, mais cela reste à vérifier de manière définitive.
Ce qu’il est intéressant de retenir et que j’ai appris il n’y pas si longtemps, c’est que les pères canadiens-français de la Confédération de 1867 n’ont jamais exprimé le moindre attachement ou la moindre préoccupation pour les francophones du Haut-Canada ou pour les Acadiens.ii Leur appui à la Confédération était entièrement égoïste, il tenait à l’opportunité que représentait pour eux, croyaient-ils, la division législative du Québec et de l’Ontario. Ils nourrissaient de cette séparation, à tort ou à raison, l’espoir de faire du Québec, dans un avenir pas trop éloigné, un État canadien-français au sein du Canada. C’était ça leur ambition. Et, pour cette raison, ils n’étaient nullement défenseurs, mais plutôt très opposés à consentir des droits aux minorités des provinces. Et en particulier, on le comprend, au sein même du Québec, ils ne voulaient pas que se concrétisent des droits pour la minorité anglophone. Sur ce dernier point ils ont été floués à la dernière minute, à Londres, par une délégation d’Anglais du Québec. Néanmoins, l’espoir de l’emporter était tenace. À quelques exceptions près, ceux qui votèrent pour comme ceux qui votèrent contre la Confédération, partageaient cette belle ambition…
Conclusion.
Le foyer originel des Canadiens – devenus les Canadiens-Français – s’est édifié sur les rives du Saint-Laurent. Le foyer national et le territoire des Canadiens-Français est d’abord le Québec. La diaspora canadienne-française à l’Ouest (ou aux États-Unis !) demeure une diaspora. Sauf en Ontario et un peu au Manitoba, ce sont des compatriotes exilés qui ont les droits des immigrants, les droits de ceux qui arrivent un à un sur une terre qui n’est pas la leur. Ce que P. E. Trudeau a pu faire ensuite, la reconnaissance des droits des minorités de langues officielles, sans toutefois reconnaître les nations, n’est pas sans une certaine continuité avec les idées d’un Henri Bourassa, chez qui, à la différence de Trudeau, la langue et la nation étaient inséparables.
i « Riel notre frère est mort », dira Honoré Mercier, en 1885 : https://ici.radio-canada.ca/ohdio/premiere/emissions/plus-on-est-de-fous-plus-on-lit/segments/chronique/96691/louis-riel-analyse-discours-honore-mercier
ii V. sur le sujet: Arthur I. Silver The French Canadian idea of Confederation, https://www.degruyter.com/document/doi/10.3138/9781442657243/html