Des pistes pour l’étude de notre histoire nationale
1- L’histoire comme une succession de témoignages
Cette première partie, d’autres à venir, se propose de donner un aperçu de l’histoire telle qu’elle nous est parvenue à travers les écrits de nos devanciers. C’est le regard précieux d’auteurs et de conteurs témoins de leur temps. Ils témoignent des temps où les Français et les Canadiens de souche imposaient leur civilisation avec une confiance à toute épreuve. Ce regard s’étend ensuite aux Canadiens-Français qui, bien que vaincus par les armes en 1760, et leur société décapitée, résistèrent à leur assimilation. Inlassablement, ils cherchaient des moyens d’aménager à leur image les terres qu’ils avaient défrichées. Comme des vents contraires limitaient leur expression sur bien des horizons, ils ne renonçaient pas entièrement au grand large saisissant l’expression écrite comme une forme d’exutoire.
Vint la québécitude
La québécitude est un néologisme qui représente le révisionnisme historique de la rupture. En quelques étapes, la québécitude sema le doute sur la légitimité d’une résistance enracinée. Elle conduisait à l’effacement du peuple par lequel une question nationale s’était imposée au Canada britannique au lendemain de la Conquête. Étonnamment, par sa persévérance à demeurer lui-même, ce peuple avait maintenu la division du Canada en deux entités. En 1965, année de publication du livre Égalité ou indépendance (Daniel Johnson), l’improbable phénomène de la dualité nationale persistait toujours au Canada et au Québec.
La québécitude doit son ascension à une nouvelle élite formée à l’américaine. De philosophie libérale, elle fera preuve d’une ingratitude injustifiée envers les générations souches. Cette élite, la première à réussir en grand nombre sur les plans économique et professionnel en trois cents ans de tribulations, cherchera à se détacher d’une histoire que plusieurs comparaient à une « grande noirceur ». Ce faisant, elle noircissait l’histoire de sa propre accession à l’éducation et à la prospérité. Notre histoire réécrite à l’encre noire, on ne s’empêchera pas de recréer ensuite un « projet de souveraineté » épuré de nationalisme traditionnel. Lumière à l’horizon ? Des patriotes de la jeune génération comprennent aujourd’hui en nombre croissant cette dérive.
Une reconquête de notre pleine identité s’impose pour se lancer de nouveau à l’assaut du temps. C’est là que les auteurs du passé interviennent et nous éveillent. Ils méritent d’abord d’être explorés pour accéder au sens profondément troublant de leur nationalisme près du cœur, transmis de génération en génération.
Naturellement, ce ne sont pas tous les auteurs que nous présentons qui sont sur cette ligne de la continuité historique, et ils ne sont pas tous de la même valeur. Plusieurs cependant nous tendent des cordes au-delà du temps, ce sont des cordes qui ont le pouvoir de rattacher notre condition contemporaine à la leur. À l’époque de la bien-pensance mondialiste qui frappe particulièrement l’Occident, on voudrait nous faire croire que « tout est dans tout », que nous ne sommes que des « citoyens du monde », que l’enracinement a peu d’importance pour l’âme humaine. En réponse, les mots de nos auteurs peuvent révéler une candeur, une chaleur, une authenticité qui manque à notre époque. Leurs mots peuvent prendre un sens renouvelé. Ils peuvent nous provoquer et, eu égard aux valeurs propagées par la québécitude, ils peuvent parfois prendre une valeur presque subversive.
Les auteurs, en fait l’échantillon que nous présentons, nous livrent un tableau de leur temps. Ils nous parlent d’une société qui n’existe plus, mais qui a longtemps évolué dans une continuité qui a formé un patrimoine, le nôtre. Nos auteurs communiquent une couleur, une saveur, une émotion qui nous amènent à saisir l’unité de notre être national, à l’inclusion de ses dimensions catholiques et continentales, tant que nous sommes des êtres enracinés.
Bref, pour être de quelque part en ce monde, on ne peut se contenter de lire les best-sellers traduits de l’anglais qui encombrent beaucoup de nos libraires. À fréquenter notre propre histoire, nous découvrons en elle les accents d’une épopée qui n’a rien à envier aux grands récits étrangers. Saura-t-elle nous propulser dans l’avenir ? Il n’y a pas d’autre histoire que celle qui nous ramène à nous-mêmes, à notre être collectif.
Notre sélection
Voici une sélection non exhaustive des œuvres qui se rattachent en tout ou en parti à cette première thématique.
Les Relations des Jésuites (de 1616 à 1672) « les lettres de noblesse de notre pays », sont une source de témoignages inestimables sur des temps héroïques. Récits subversifs de nos jours par la vérité toute crue des évangélisateurs zélés qu’ils étaient. Bien plus délicatement qu’ailleurs en Amérique du Nord, ils apportaient la civilisation à des peuplades primitives.
Les lettres de Marie de l’Incarnation (1599-1672) sont dans la même lignée. Ne faisant nullement office d’historienne improvisée, elle nous rapporte dans ses milliers de lettres les faits et gestes de Ville-Marie au temps de sa fondation. Pour une approche contemporaine de Marie Guyart, on ne saurait trop conseiller le livre de Carl Bergeron, La Grande Marie (2021).
Les Annales de l’Hôtel Dieu de Montréal, rédigées par Sœur Marie Morin, Canadienne née à Québec en 1649, font d’elle la première historienne de Ville-Marie. Il vaut la peine de le mentionner. Une grande dame de notre histoire.
François-Xavier de Charlevoix (1682-1761) est un grand voyageur et observateur de l’Amérique et du Japon. Jésuite et intellectuel français, il profite de son séjour au Canada pour écrire une première histoire du Canada, demandée par Louis XIV.
Les quatre œuvres mentionnées ci-dessus, que Samuel Baillargeon appelle des « Monuments écrits », peuvent être lues et téléchargées au format numérique depuis le site de la Bibliothèque et archives nationales du Québec (BanQ numérique).
Extraits
À son arrivée à Québec, en 1720, Charlevoix nous donne des impressions dithyrambiques de la vie dans la capitale de la Nouvelle-France.
« J’ai déjà dit qu’on ne compte guères, à Québec, que sept mille Ames; mais on y trouve un petit Monde choisi, où il ne manque de rien, de ce qui peut former une société agréable. Un Gouverneit Général avec un État Major, de la Noblesse, des Officiers, et des Troupes. Un Intendant avec un Conseil Supérieur. et des Juridiction subalterness; un commissaire de Marine, un Grand Prevôt, un Grand Voyer, et un Grand Maître des Eaux et Forêts, dont la Juridiction est assurément la plus étenduë de l’Univers; des Marchands aisés ou qui vivent, comme s’ils l’étoient; un Evêque et un Séminaire nombreux ; des Récollets et des Jésuites; trois communautés de filles, bien composées; des cercles aussi brillans, qu’il y en ait ailleurs, chez la gouvernante et chez l’Intendante. Voilà, ce me semble, pour toutes sortes de personnes de quoi passer le tems fort agréablement.
[…] On jouë et on fait des parties de promenades; l’été en Calèche ou en Canot; l’hyver en Traîne sur la neige, ou en Patins sur la glace. On chasse beaucoup; quantité de Gentilshommes n’ont guères que cette ressource pour vivre à leur aise. […] on politique sur le passé, on conjecture sur l’avenir; les Sciences et les Beaux-Arts ont leur tour, et la conversation ne tombe point. Les Canadiens, c’est-à-dire, les Créoles du Canada respirent en naissant un air de liberté, qui les rend fort agréables dans le commerce de la vie, et nulle part ailleurs on ne parle plus purement notre Langue. On ne remarque même ici aucun accent. »
Cette description que l’on pourrait croire entachée d’exagération se trouve cependant corroborée par l’historien William Smith :
« Quand le traité de Paris a été signé, le 10 février 1763, les Canadiens formaient, à quelques rares exceptions près, un peuple d’origine française. Ils formaient une branche de l’une des nations ayant atteint le plus haut degré de civilisation jamais connu en Europe. Ils avaient apporté avec eux, et développé de façon assidue, autant de culture de leur mère-patrie que leur condition permettait. Quand Montcalm est arrivé au Canada, et après qu’il eut l’opportunité de parcourir et d’observer les alentours du lieu où ses assignations l’avaient envoyé, il ne tarda pas à déclarer que, à l’exception de Paris, il n’existait aucune ville en France dans laquelle l’état général de la société était supérieur à celui de Québec. »
Poursuivons.
Le site Les Canadiens à l’assaut du temps propose six romans canadiens-français à lire une fois dans sa vie. Comme on ne cherche pas ici à tout couvrir, mais à donner des pistes pour aborder notre histoire, voici sans autres détails, nos choix, tels qu’ils apparaissent dans le site.
Né à Québec, Alain Grandbois – La vie d’un de nos plus grands explorateurs, Louis Jolliet qui, avec le Père Marquette, en 1673, « découvre » le Mississippi. De quelle façon un Canadien-Français (Grandbois) parlait-il de Louis Jolliet en 1933, date de publication de son premier livre. Louis Jolliet est avec Pierre Lemoyne d’Iberville un de nos plus grands personnages canadiens, le premier né à Montréal, le second dans la région de Québec, mais pas à Québec contrairement au titre. Dommage que les manuscrits du voyage de Jolliet se soient perdus au retour, presque à l’arrivée, quand son canot a chaviré dans les rapides de Lachine ; lui-même sera sauvé de justesse de la mort.
Les anciens Canadiens, Philippe Aubert de Gaspé – La guerre de la Conquête divise deux étudiants du Petit Séminaire de Québec, l’un Canadien-Français, l’autre Écossais. On mentionne souvent ce livre comme le premier roman canadien.
Jean Rivard, défricheur (suivi de Jean Rivard, économiste), Antoine Gérin-Lajoie – Une histoire d’occupation du territoire par la colonisation des terres et la prise en charge de l’économie.
L’Appel de la race, Lionel Groulx – La loi fédérale sur l’abolition de l’enseignement en français en Ontario provoque une crise entre un député canadien-français et son épouse anglaise.
Le Roi de la Côte Nord, Yves Thériault – La vie extraordinaire de Napoléon-Alexandre Comeau, qui a vécu de 1848 à 1923. Un héros local aimé de tous, médecin autodidacte, fin connaisseur des langues indiennes, chasseur, pêcheur, aventurier, etc. Sa vantardise, quand on lit de sa plume ses exploits racontés dans Vie et pêche sur la Côte Nord du fleuve Saint-Laurent, ne fait qu’ajouter à la truculence.
Agaguk, Yves Thériault – Pour comprendre la mentalité ancestrale et les problèmes actuels des Inuits. L’action se déroule vers 1940, un peu avant l’arrivée massive des blancs dans le nord. Les habitants ont franchi 10,000 ans d’histoire en une génération.
Georges Farah Lajoie, le détective venu d’Orient, Yves Messier – L’histoire vécue de ce libanais, qui émigra vers 1920 à Montréal et devint le premier policier scientifique. Pour s’intégrer, il ajoute Lajoie à son nom qui est la traduction française de Farah. Il marie une Québécoise et ils auront de nombreux enfants. Il est chargé d’enquêter dans les affaires de meurtres les plus louches de l’époque. Combien d’immigrants d’origine exotique auraient-ils l’idée aujourd’hui de rajouter un Lajoie ou un Tremblay à leur nom ?
Dans la même thématique, celle de notre histoire vue à partir du témoignage des anciens, voici encore quelques œuvres qui méritent d’être présentées :
Trente arpents, Ringuet – La vie dans nos campagnes avant qu’elle ne s’évapore dans l’américanité.
Le Survenant, roman de Geneviève Guèvremont – Un étranger débarque soudainement dans la région de Sorel, l’énigmatique personnage vient troubler la routine quotidienne des habitants.
Un voyageur des pays d’en haut, abbé G. Dugas – Récit à partir de témoignages longuement recueillis auprès d’un authentique Voyageur.
« Le but que je me propose, est de conserver à la postérité un souvenir de voyages que faisaient autrefois nos Canadiens dans les pays du Nord… Mais, pour peindre le genre de vie de nos anciens voyageurs, il me fallait un type, j’en avais un sous la main, je l’ai pris.
J’ai vécu près de lui pendant douze ans. »
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Et pour terminer notre revue, voici quelques
Anthologies et études sur la
littérature canadienne-française
publiées au début des années 1960, donc pas encore révisés sous l’influence de la Révolution tranquille.
Outre l’œuvre remarquable du rédemptoriste Samuel Baillargeon, Littérature canadienne-française, 525 pages pour la troisième éd. de 1965, préfacée par Lionel Groulx, on remarquera les trois tomes sur le même sujet, publiés par le Centre de recherches de littérature canadienne-française de l’Université d’Ottawa. Ces trois derniers édités en 1960 et 1961. Ce sont des œuvres que l’on peut qualifier de substantielles. Une somme qui couvre pratiquement tous les aspects du sujet. Le tome 3 contient une bibliographie du roman canadien-français de 1837 à 1962, une bibliographie chronologique des œuvres, une bibliographie des études sur la littérature canadienne-française, ainsi qu’une liste alphabétique des auteurs avec une liste séparée pour les auteurs de romans pour adolescents. Le tome 1 compte 349 pages, les deux suivants, 381 et 456 pages.