Le Canadien français et son double

Depuis 1760, nous faisons face à une volonté organisée de nous assimiler jusqu’à nous faire disparaître sans laisser de traces. Lafontaine revient au lendemain d’une deuxième défaite. Aujourd’hui notre tête est sur le billot. Avec le recul du temps il est toujours tentant de juger avec plus de détachement tant la lutte perdue des patriotes de 1837-38 que celle de la relève qui s’imposa ensuite. Cette relève n’était pas que politique. Elle s’exprimait dans une plénitude nationale au sein de laquelle le clergé formait une importante force structurante.

Je crois que les Canadiens-Français ont connu un âge d’or de 1880 à 1920, en tout cas dans cette période. C’est là que leur déploiement démographique, géographique et institutionnel atteint son apogée. Il faut cependant admettre que l’ambiguïté politique de cette époque continue de nous accompagner aujourd’hui.

Parlant d’indépendance, ce dernier horizon constitue aujourd’hui à la fois autant un piège qu’un espoir, ce qui n’était pas le cas il y a quarante ans, alors que ce n’était qu’un noble espoir. Dans « Le Canadien français et son double » (1972), Jean Bouthillette s’étend sur l’ambiguïté du vocable canadien français, qu’il écrit à la façon d’Olivar Asselin (Canadien français) et non de Benjamin Sulte (Canadien-Français).

Bouthillette a bien raison de voir une ambigüité sémantique qu’il ne manque pas de réprouver. Mais, n’ayant possiblement pas fouillé suffisamment la question, il prend pour motif un vocable qui n’est pas rendu insécable par le trait d’union, ce qui aurait éliminé le qualificatif pour former un unique substantif, Bouthillette peut donc écrire :

« Les indépendantistes, qui ont senti la confusion, y échappent en ne se disant que Québécois. » (p.16)

Il n’est pas superflu de rappeler que les seuls à se dire Québécois à cette époque étaient les indépendantistes. Réédité en 2018, le livre est acclamé par Mathieu Bock-Côté1. Bouthillette passait cependant à côté d’une compréhension de ce qu’est l’identité canadienne-française, dont Daniel Johnson s’était fait le dernier porte-parole autorisé en février 1969. Cette identité légitime ne demandait qu’à vivre. Le temps était venu de la pousser plus loin.

La génération de Bouthillette fera cependant un pas de côté.

Nous nous retrouvons aujourd’hui avec une identité québécoise qui n’est plus celle des indépendantistes de 1972, loin de là. Elle est devenue celle d’une population du Québec qui, indépendance ou pas, se voue à faire prospérer dans ses limites territoriales rien d’autre qu’un petit Canada dans l’essence.

Je suis tenté de conclure que l’indépendantisme des années qui suivent la disparition de Groulx (1967) et de Johnson (1969) est une application progressive, à l’échelle du Québec, d’un multiculturalisme canadien apparemment imparable.

À cet égard, ce qui me gène le plus et m’apparaît comme une révolution nationale « canadiAn », c’est que la loi sur les langues officielles de Pierre Elliot Trudeau a été adoptée dans l’esprit et la lettre par les indépendantistes québécois comme dans le reste du Canada. Les indépendantistes signaient avec Trudeau la disparition d’un peuple par sa segmentation en provinces. Les indépendantistes, confiants dans des lendemains qui chantent, qu’ils voyaient tout proches, ne virent rien venir.

Après l’âge d’or tout relatif des Canadiens-Français, quelle était la question que devaient se poser ceux qui voulaient notre disparition ? Il nous faut nous aussi nous la poser.

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    1. https://www.journaldemontreal.com/2018/03/03/un-vrai-chef-duvre

    Voir aussi : https://canadiens-francais.com/etes-vous-specifique-generique-ou-les-deux/

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